Justine
Je souhaite aujourd’hui me pencher sur une analyse de la chanson « Justine
». Très souvent appréciée par les fans qui s’identifient facilement à
ses paroles, se sentant proches de cette jeune femme et de son mal-être
décrit par un autre, certaines phrases de ce morceau sont reprises à
tout va dans la communauté des fans. Alors faciles d’accès ces paroles ?
Au contraire, pour moi elles ne le sont pas. Certes la
première écoute nous permet de faire quelques pas dans l’histoire de
cette jeune fille, mais je pense que cette chanson est pleine de
ressources parfois peu exploitées, car bien cachées.
Parlons de son interprétation. Sa grande force, à mon avis, est de jouer sur deux plans. En effet, on peut appliquer une double interprétation à bien des
couplets : le suicide ou le moment suivant un orgasme sexuel. Au
premier abord ces deux thèmes semblent bien contradictoires, mais je
tâcherai de vous montrer qu’ils ne le sont pas forcément, du moins pas
ici. Voici quelques exemples marquants de cette double thématique : «
Justine qui se couche », « Justine saignera », « Une lueur rouge
caresse son corps », « Ce n’est rien juste qu’une petite mort », « Au
paradis elle aura tout ce qu’elle voudra », « Elle sacrifie toutes ses
envies à l’infini », « qu’un prince viendra la réveiller », « C’est ici
que tout finira »… et la liste serait encore longue !
Intéressons nous tout d’abord au thème du suicide.Justine est ici décrite par un narrateur extérieur, et cela place tout de suite une distance entre
elle et nous. D’ailleurs, ceci est bien illustré par cette phrase : «
par ici plus personne ne peut couvrir ses plaies ». Comme si nous
n’étions également qu’un spectateur de plus de sa souffrance, comme
celui (ou celle ?) qui la décrit. Elle semble encore plus seule, face
au monde et à ses choix. Lassée, fatiguée, déçue, elle a fait le choix
de la mort. L’évocation de la mort est claire : le paradis, la
destinée, un ange, une fée, elle dort. Mais cette mort reste évoquée et
non pas explicite. Aucune phrase ne nous indique clairement sa
décision, mais c’est bien là que se cache la force de ce texte : rien
n’est dit, mais en rapprochant des mots entre les strophes, en mettant
en valeur les différents champs lexicaux, on découvre peu à peu son
histoire, ce qui contribue aussi à insister sur cette sensation de
distance, car Justine ne nous livre rien de manière directe. Ce qui
peut nous paraître étrange avec cette mort, c’est qu’elle est perçue
comme une issue, une solution, une suite : « elle deviendra ce qu’elle
voudra ». On reste donc dans une mort omniprésente, bien qu’elle ne
soit jamais nommée.
Maintenant, abordons le second thème. A
nouveau, les références sont nombreuses : « Justine s’initie au secret
», « un fleur dans la bouche » « une lueur rouge ». Justine nous
apparaît comme une jeune femme au moment de ses premiers ébats de sa
découverte de la sexualité et de ses conséquences émotives. Ce moment,
juste après l’acte, après cette montée en puissance des sensations,
cette chute, cette descente. Ces moments apparaissent très mystiques,
mystérieux, on parle de « secret », elle « obéit », et toujours cette
distance, qui me fait parfois même imaginer que Justine est seule,
qu’on la regarde seulement. Malgré ces émotions si intenses, on sent
toujours la douleur pointer, cette souffrance qui l’habite refaire
surface.
Alors, quel rapprochement entre ces deux thématiques
qui, dans leur sens strict, seraient plutôt opposées ? On peut voir
dans le suicide et dans l’orgasme une apogée des sentiments, un sommet
atteint, un extrême : le suicide par la mort, l’orgasme par cette
montée des ressentis corporels comme je le disais auparavant. Mais tout
deux représente aussi une limite irrévocable, un passage, un rite. Une
fois le suicide commis, on ne peut revenir en arrière, comme l’acte
sexuel (encore plus s’il s’agissait de sa perte de virginité). Une
porte ouverte sur l’infini, une nouvelle découverte. Un autre point
commun visible surtout dans ces paroles, est la manière de les décrire
: les mêmes adjectifs, mots, couleurs, la même ambiance… En effet, le
rouge peut très bien faire référence au sang, mais c’est aussi la
couleur de l’érotisme, de la sexualité, de la passion… Le mystère qui
entoure l’histoire de Justine rapproche ces deux thématiques. Et je
pense que la plus belle preuve de ce rapprochement est un terme bien
précis : petite mort. En effet, le rapport au suicide est ici clair,
mais le plus intéressant est que, dans la littérature, ce terme désigne
justement le moment qui suit un orgasme, comme si tout était si fade
après de telles sensations.
C’est ainsi que personnellement,au lieu de faire une lecture séparée du texte avec chacun des points de
vue et leur extrême, je préfère prendre ce texte comme un tout, alliant
avec subtilité deux thématiques paraissant au premier abord opposées,
et qui au final s’unissent pour nous raconter l’histoire de Justine.
Pour les curieux, je pense que le texte « Justine, à l’heure dite », parue
dans le recueil de nouvelles de N.Sirkis (Les mauvaises Nouvelles),
peut apporter quelques réponses. Cependant, on ne sait pas si les deux
filles sont les mêmes. A nouveau, au lieu de vouloir être précis et
sûrs de notre analyse, laissons nous plutôt surprendre par l’expression
originale de ces thèmes.
Darwin