Par puppet le curé
LA COLLINE DES ROSES
1 la fin du jour dans cette ville
2 est étrange
3 des passants passent en silence
4 dans les brumes de décembre
« La fin du jour dans cette ville » attise la mémoire de cette expérience commune de la nuit tombante, et introduit immédiatement le supposé indochinois : de la tristesse au cours notre vie quotidienne. Puis, élégamment ramassé en deux mots, le thème de l’étrangeté.L’étrange qui souvent se révèle être un paravent "gras" du psychisme « sec ». Voilà bien là le « secret » d’Indochine : utiliser la poésie et sa fonction sublimatoire, pour parler en réalité des simples plaies de nos âmes. Les lignes 3 et 4 accentuent et illustrent cette vague (de) tristesse.
5 un vent glacial souffle et domine
6 impérial
7 on dirait qu’il y a des anges
8 sur la colline des roses
5 et 6 : tout le poids de cette angoisse personnifiée dans les rues d’une ville, circulant maintenant, au travers du vent de saison froide, en tant que préalable. Le poids de « ça » (la « mélancolie ») supplante l’individu, ceci induisant du reste un principe rigoureux de psychanalyse : l’acceptation préalable d’un état de souffrance. Puis, de 7 à 8, vient la vraie-fausse piste classique de l’« indochinoiserie » : un paradis cotonneux et enfantin. Une sorte de terre promise que chacun sait frôlable mais sans espoir réel de devenir.
9 mais les nuits sont trop violentes
10 elles arrivent comme une erreur attirante
11 une erreur aveuglante
Ici le système indochinois est clairement illustré. Les premières expériences charnelles, voire également celles qui leur succèderont, « sont trop violentes », et reposent sur « un erreur » irrépressible : le sexe, l’aperçu sensoriel du partenaire rendu idée amoureuse, la juxtaposition des corps… Vive la chair, …vive !
12 il y a des petites fées
13 au creux de ma main
14 et qui prennent le thé
15 dans un jardin
16 il y a des petites fées
17 au creux de ma main
18 et qui prennent le thé
19 au fond de mon jardin
Toute l’astuce repose dans les lignes 15 et 19. L’univers « pur » des fées passe d’une main à, quelque soit la formulation exacte, un jardin. L’innocence d’une conversation autour d’un thé débouche sur une double formulation psychanalytique. Le « jardin » étant aisément assimilable à une pilosité bien humaine, nous passons, par les doigts de « ma main », de poils de pubis (« un jardin ») à ceux du narrateur masculin (« mon jardin »). A noter que ce genre de démonstration de « crudité réelle » de l’acte sexuel -ou de « vrai » désenchanté concret, poétiquement et intrinsèquement mûr à divulguer à ce stade- symbolique est toujours accompagnée de douceur et d’un pacifisme tendre et absolu envers l’auditoire. De même que dans la vie « noirceur biologique reproductive » se marie avec tendresse ?
20 je n’ai que mes yeux
21 pour les regarder
22 que deux mains pour les toucher
23 mais qu’une bouche pour les embrasser
Il est clairement dévoilé une atmosphère de fantasme sexuel de 20 à 23. Mais Nicolas Sirchis en profite pour pondre au passage une autre astuce : le « mais » de la ligne 23. Ses attributs érotiques-sensoriels, les yeux, les mains, puis la bouche, sont posés systématiquement comme négativement déterminés, gravés de par leur ADN dans le marbre, et de ce fait ontologiquement inassouvis au sein du présent « délire poétique ». Le simple ajout de ce « mais » remet tout en cause, et la souffrance existentielle supposée se prend à dresser la table pour y remettre le couvert –le baiser. La concrétude génétique –organes de perception et par force de réception- insurpassable reprend ses droits comme habitacle inévitable du plaisir. Que. Que moi, que toi et notre odieuse factualité.
24 mais qui pense que ça les dérange
25 que des anges en toute innocence
26 …marchent sur des roses qui éclosent
Passé le procédé poétique (ligne 24) habituel chez Indochine, mais si crucial dans sa « paranoïa » sociale (la France « de droite » perverse), on débouche sur un mystère dont la poésie est évidente, mais dont le délire intellectuel exact n’appartient sans-doute qu’à l’auteur.L’univers rassurant des anges innocents se voit se faire greffer, au prix de points de suspension lourds d’un inconnu aléatoire rendu en mots, par d’étrange roses naissantes.
(refrain)
35 je déteste les mois de décembre
36 elle hais tous ces dimanches
Deux phrases-refrain sans nul doute emblématiques dans l’esprit de tout fan, deux phrases qui se mouillent, du fait de leurs verbes respectifs -« détester » et « haïr »-, et présupposent, non deux vers bouche-trous verbeux, mais une information imparablement cruciale. C’est du reste peut-être là un des « morceaux de bravoure » principaux de Nicolas Sirchis dans son oeuvre, à savoir s’enfermer avec autant de responsabilité conceptuelle par-rapport à l’idée « artistiquement noble et définitive » de son groupe, tant en termes de poétique que de structure fanatisante –ce en onze mots. Alors intervient l’inévitable subjectivité de l’interprétation. Mais j’ose émettre l’hypothèse que ces phrases renvoient à l’enfance, ne serait-ce que par l’évocation du mois de décembre, le froid, mais ainsi aussi Noël et le nouvel an, ressentis si intensément par un enfant occidentalisé, qui par ailleurs dessine, et imagine-pense (panse) mieux que les adultes (dixit Picasso : « j’ai mis vingt ans à apprendre à peindre comme eux », parlant d’une classe de primaire)… Viennent alors les images de ces innombrables couchers de soleils les « dimanches »-soirs, la fin des jeux et le signe d’un sommeil programmé avant de repartir au turbin scolaire, au hasard de CM2, le lundi à 8H30. La fin même peut-être d’un sentiment d’amitié et de découvertes entre gosses, mis en pratique seulement les week-ends qu’on veut bien laisser comme place vierge à leur imaginaire, humaniste quand ce n’est pas déjà bouleversé et amoureux.
Enfin l’hiver et les dimanches renvoient à ce sentiment vague, relayé par la température qui chute, et le soir existantialisant qui tombe. Un dimanche soir vers Noël, seul dans sa tête à défigurer les murs vides de la rue, ainsi que sa propre intériorité, pas si complète malgré la propagande socialisante. A n’avoir un sens que par soi-même alors qu’il fait si froid dehors.
37 mais les nuits sont trop violentes
38 elles arrivent comme des erreurs
(…)
47 je déteste les mois de décembre
48 elle hait tous ses dimanches
49 mais les nuits sont trop violentes
50 une nuit sur la colline des roses…
La ligne 50 vient bercer d’une douceur réparatrice l’auditoire –une colline florale féconde piétinée plus tôt dans ce texte-, féerique et rassurante, face à la violence ; comme si nos rêves berçaient au final notre réel de par une bonté pure –peut-être la bonté que l’on doit à nous-mêmes. Les trois points de suspension nous laissent rêver…